Comment enseigne-t-on la décompression aujourd’hui ?

A l’occasion d’un stage de plongée “tek” cet été, je me suis fait pas mal de réflexions quant à l’enseignement de la décompression : quels sont les connaissances que l’on devrait s’assurer de transmettre ? Comment s’assurer que l’élève a un savoir “opérationnel” sur l’utilisation de l’ordinateur de plongée ? Comment aborder les tables de plongées dans une époque où bien peu de plongeurs en ont dans leur stab ?

Cet enseignement est régulièrement l’objet de questions, débats et discussions. La prochaine réforme de la FFESSM (qui a été voté lors de la dernière réunion de la CTN) va probablement relancer des débats au sein de nos clubs. Mais sommes-nous prêts à faire évoluer notre enseignement sur ce sujet ?

J’ai donc commencé à réfléchir à une solution pour améliorer l’enseignement de la décompression à l’aide des ordinateurs. Mais avant de me lancer dans son développement, je voulais voir quelle était la situation actuelle de cet enseignement ? J’ai donc lancé un sondage auprès de plongeurs et de moniteurs, autour de moi, ou dans divers groupes Facebook.

Les plongeurs face à la décompression

En un peu plus d’une semaine, 222 personnes ont répondu à ce sondage. Un échantillon un peu faible pour en tirer des conclusions applicables à tous les plongeurs francophones, mais avec des tendances intéressantes.

Ce sondage étant adressé à tous, de nombreuses personnes ont répondues, avec 60% de moniteurs et 40% de plongeurs. M’adressant à des plongeurs francophones, plus de la moitié des répondants sont des plongeurs FFESSM — la fédération française de plongée. Cependant, on constate que plus de 30% des plongeurs ont suivi des cursus de différentes fédérations.

Comment les plongeurs ont-ils été formés ?

On constate que plus de la moitié des plongeurs ont été formés à la fois à l’utilisation des tables et à celle de l’ordinateur de plongée. Cependant, 39% des plongeurs interrogés n’ont pas vu l’utilisation de l’ordinateur de plongée lors de leurs formations. Cependant, 98,6% de ces mêmes plongeurs possèdent leur propre ordinateur.

Cette différence de chiffre ne fait que me conforter dans l’idée que — nous moniteurs — devons réfléchir à notre enseignement de l’ordinateur, et à une meilleure intégration de celui-ci dans nos cursus.

Les plongeurs sont-ils assez formés ?

Définir le niveau de compréhension d’un plongeur en seulement quelques questions ne relève pas de la science exacte. Cependant, on peut essayer de définir quelques tendances. J’ai donc commencé par demander aux plongeurs (et moniteurs) de s’autoévaluer.

D’après les réponses, 62% des plongeurs se sentent autonomes. Il n’y a pas trop de disparité en fonction de leur niveau — seuls les Niveau 1 n’ont donné aucune réponse à 5. Il est tout de même intéressant de constater que 32% des MF1/MF2 (et niveaux équivalents) ne se sentaient pas autonomes à la fin de leur formation (note de 1 à 3). Je suppose (ou plutôt j’espère) qu’ils ont répondu à cette question avec leur souvenir de leur formation de plongeur (jusqu’au Niveau 3), et non pas de leur formation de moniteur.

Pour tenter de voir ce qui se cache derrière cette autoévaluation, j’ai posé deux questions. La première était Vérifiez-vous votre ordinateur avant chaque plongée ?

Fort heureusement, 96% des plongeurs vérifient leur ordinateur avant chaque plongée. J’ai été agréablement surpris de constater que plus de 72% des plongeurs ne se contentaient pas de vérifier qu’il s’allumait, mais effectuaient d’autres vérifications (réglages Nitrox, batterie restante, paramètres de la décompression, etc…). Malgré cette sensibilité, seulement 59% des plongeurs vérifient les ordinateurs des membres de leur palanquée (64% pour les plongeurs effectuant des vérifications “avancées” sur leur propre ordinateur). Il y a encore du travail de sensibilisation à effectuer sur ce sujet :)

La seconde question est bien plus intéressante en termes de retombées : Savez-vous quoi faire avec votre ordinateur en cas de situation anormale ?

La question n’était pas posée de la meilleure manière qui soit. On constate tout de même que près de 10% des plongeurs qui s’autoévaluent autonomes ne savent pas quoi faire en cas de défaillance de leur ordinateur (cf. illustration ci-dessous). Au total, 3% des moniteurs ne sont pas sûr de la procédure à appliquer en cas de problème d’ordinateur.

Existe-t-il des profils de plongeurs mieux formés que d’autres ?

Avec les données de ce sondage, plusieurs axes de réflexions peuvent être explorées :

• Est-ce que le nombre de plongées a un effet ?
• Est-ce qu’une fédération forme “mieux” à ce sujet que les autres ?
• Est-ce que des plongeurs aux mélanges sont mieux sensibilisés à ce sujet ?

En dessous de 100 plongées, 28% des plongeurs ne connaissent pas de procédures de réchappe en cas de problème d’ordinateur.

Comme on peut s’y attendre, le nombre de plongées a un impact sur le niveau du plongeur. En dessous de 100 plongées, 28% des plongeurs ne connaissent pas de procédures de réchappe en cas de problème d’ordinateur. Il passe à moins de 10% entre 100 et 400 plongées, et à moins de 2% au-delà de 4 plongées. Autre facteur intéressant: les vérifications de matériel au sein de la palanquée. Alors que seulement 20% des plongeurs ayant moins de 100 plongées déclarent vérifier l’ordinateur de leur binôme, 50% des plongeurs totalisant plus de 400 plongées déclarent le faire.

La fédération est également une question intéressante. Se risquer à comparer les fédérations entre elles serait non seulement périlleux, mais surtout reflèterai une méconnaissance de leurs différences, particulièrement sur ce sujet. J’ai donc comparé les plongeurs ayant un parcours mixte (=ceux qui ont suivi un parcours dans plusieurs fédérations) à ceux qui n’ont vécu que dans une seule fédération. A mon étonnement, il n’y a pas de grande différence d’après les réponses que j’ai eu. Les réponses pour les plongeurs uniquement type PADI montrent une tendance importante dans un sens, mais l’échantillon de plongeurs type PADI ayant répondu au sondage est trop faible pour en tirer quel qu’enseignement qu’il soit.

Passons maintenant aux plongeurs aux mélanges et recycleur. De par la technicité de leurs plongées, on peut s’attendre à une meilleure connaissance des procédures de décompression.

J’ai repris les deux questions d’auto-évaluation précédentes — Connaissez-vous les procédures de réchappe et vérifiez-vous le matériel de votre binôme — et j’ai séparé les réponses par profil de plongeur.

Dans les graphiques de droite, j’ai inclus tous les plongeurs Nitrox, y compris ceux qui n’utilisent qu’un Nitrox “simple” (donc un seul bloc en tout, inférieur à 40% d’oxygène). En revenant sur les données, je me suis aperçu que cette catégorie de plongeurs aux mélange était, dans les réponses, très proche de celle des plongeurs air. La différence entre ces plongeurs et les plongeurs Nitrox avec bloc de déco, Trimix et recycleur est franche.

Comme on pouvait s’y attendre, l’expérience et la technicité des plongeurs jouent un rôle dans le niveau de maîtrise de l’ordinateur de plongée. Cependant, une part trop importante des plongeurs — et de moniteurs — ne semblent pas maîtriser les connaissances minimales dans l’utilisation de leur ordinateurs. Voyons maintenant comment les moniteurs décrivent leurs enseignement…

Les moniteurs face à l’enseignement de la décompression

Sur l’ensemble des répondants, 131 personnes sont des moniteurs, avec une majorité de MF1/BEES1/OWSI (43%), et de E2.

L’enseignement de l’ordinateur vs. les tables

Le premier constat est que les moniteurs enseignent majoritairement ces deux moyens de planifier et calculer sa décompression (seulement 10% des moniteurs ne déclarent pas enseigner l’ordinateur).

J’ai ensuite demandé aux moniteurs d’expliquer en quelques mots pourquoi ils enseignaient les tables. J’ai classé ces résultats en cinq catégories. On constate qu’une bonne partie des moniteurs utilisent les tables en préambule à l’enseignement de l’ordinateur, ce qui n’est pas une surprise. L’obligation d’enseignement fédérale et la solution de secours sont les deux autres raisons les plus populaires invoquées pour l’enseignement des tables.

Voyons maintenant comment l’enseignement de l’ordinateur est réalisé. La majeure partie des enseignants comparent les tables de plongées et les ordinateurs. Cependant, leurs méthodes divergent — comparaison des résultats entre les tables et l’ordinateurs, avantages/inconvénients, etc…

De nombreux moniteurs utilisent également des captures d’écrans ou des extraits des manuels d’utilisation. Quelques moniteurs demandent à leurs élèves d’apporter en cours leurs propres ordinateurs, voire les manuels de leurs ordinateurs.

D’un autre côté, les procédures de secours ou les éléments importants d’une planification — telle que la DTR — ne semblent que peu abordés.

Les points de blocage dans l’enseignement à aujourd’hui

Une partie des moniteurs (10%) se disent satisfaits de leur méthode d’enseignement et des outils pédagogiques qu’ils utilisent. La majorité des moniteurs aimeraient avoir des fiches pratiques leur permettant de comparer différents ordinateurs entre eux, afin de comprendre leur différentes.

La demande en support de cours, diaporamas, animations vidéos ou planches est forte. Cependant, la demande la plus forte est autour d’un logiciel de simulation. Cela tombe bien, c’est l’idée que je souhaitais valider avec ce sondage :)

Un nouvel outil d’enseignement de la décompression

J’ai depuis quelques mois dans la tête un projet de simulateur d’ordinateur de décompression. Pour faire simple, l’idée est de pouvoir non seulement simuler différents ordinateurs sur la même plongée, mais également pouvoir montrer comment se comportent les ordinateurs lors de situations anormales.

La réalisation de cas concrets est, à mon sens, une des meilleures expériences que l’on peut donner à nos élèves. C’est pourquoi la seconde partie de l’idée est de permettre à chaque élève d’avoir sur un smartphone ou une tablette un simulateur d’ordinateur. Les moniteurs pourront ainsi former des palanquées, et charger des scénarios prédéfinis pour entraîner vos élèves aux situations d’urgence.

Il y a plein d’idées autour de ce projet, mais également plein de défis (techniques, légaux, de simulations d’algorithmes qui ne sont pas publics pour certains ordinateurs, etc…). Si ce projet vous paraît intéressant, vous devriez vous inscrire à la liste d’information d’OpenDeco (ou simplement m’encourager en likant cet article ;).

Edité: Questions-réponses en réaction à cet article

Q: Est-ce que OpenDeco n’est pas juste un logiciel de planification de plongée ? R: Ce n’est pas la volontée. L’idée est de permettre de simuler différents ordinateurs de plongée — afin de montrer leur différences-ainsi que de simuler des scénarios auprès des élèves plongeurs. Il n’est pas prévu de pouvoir en extraire un dive plan, de planifier la quantité de gaz nécessaire à une plongée ou d’établir des profils de décompression pour une plongée précise.